

La manifestation a lieu à l’orangerie du Palais du Belvédère. La visite s’effectue dans des salles aux cimaises bleu nuit, au parcours très simple, en serpentin progressant de l’entrée jusqu’au fond du bâtiment : aucune chance de se tromper de sens ou de manquer une salle. Les textes des cimaises, d’une taille suffisante et de couleur blanche se détachent aisément sur ce fond sombre, ce qui évite de faire des efforts de décryptage malheureusement si souvent nécessaires pour les cartels.

La première salle retrace le travail réalisé en amont de l’exposition depuis 2016 et présente les différents éléments clés découverts grâce aux analyses scientifiques. Des découvertes ont ainsi été faites sur les matériaux utilisés ainsi que le processus de création de l’artiste. On apprend ainsi que Schiele préparait ses toiles lui-même avec un mélange de craie, de quartz et autres silices, et que cette couche préparatoire avait parfois autant d’importance que les couches de peinture dans ses tableaux. Ou encore qu’il utilisait la plupart du temps des couleurs pures sans les mélanger.
Un très curieux portrait en trois dimensions est la première oeuvre de Schiele que l’on rencontre en rentrant. Cet autoportrait tardif, peu ressemblant au reste de la production de l’artiste, permet d’entrer dans le vif du sujet de l’exposition, à savoir la mise en évidence des nombreuses influences et interférences qui se retrouvent dans les oeuvres d’Egon Schiele, et notamment des citations des bronzes de Rodin.

Une biographie succincte d’à peine une quinzaine de dates retrace la brève vie du peintre. À mon sens, c’est bien plus percutant et digeste que ces interminables chronologies exhaustives que l’on retrouve trop souvent dans des expositions monographiques.
La salle suivante nous familiarise avec ses prises de position stylistiques ainsi que les éléments récurrents de ses œuvres – comme les tournesols. On y rencontre également le premier tableau analysé dans cette exposition, le Portrait de Franz Martin Haberditzl, directeur de la collection de l’actuelle musée du Belvédère, qui acquit en 1918, du vivant de l’artiste, Le Portrait de la femme de l’artiste Egon Schiele, qui est donc la première oeuvre du peintre à intégrer un musée national. L’exposition se termine d’ailleurs avec la présentation de ce tableau, achevant ainsi la boucle de l’histoire de la collection Schiele du Belvédère.

Les salles suivantes sont structurées sensiblement de la même manière. Une oeuvre de l’artiste est décryptée tant par ses aspects esthétiques, stylistiques, historiques que techniques. Le tableau en question est accroché sur la cimaise en étant isolé de tout texte ou autre oeuvre à proximité immédiate pour offrir la meilleure expérience visuelle. Il est présenté à coté d’un texte de grand format prenant toute la hauteur du mur – en allemand et anglais, les deux langues ayant la même taille de police. Dans ce cartel détaillé, composé de trois courtes parties, on apprend la genèse de l’oeuvre, ses inspirations, un ou deux éléments d’analyse scientifique, et enfin une histoire brève de son voyage à travers les collections.

Les textes allemand et anglais sont séparés par des photographies de l’oeuvre : macrophotographie, passage aux rayons X ou rayons UV, ces images sont explicitées à travers de courtes légendes où l’on guide le regard du visiteur sur les repentirs, les différents éléments de composition, les restaurations, entre autres.




© Belvedere, Vienna
L’oeuvre la plus marquante pour moi a été L’étreinte, représentée sur l’affiche. La tension émotionnelle et sensuelle de la composition attire le regard comme un aimant. Les chairs bariolées et sinueuses sont comme figées dans un instant de vivacité. L’oeuvre est mise en parallèle avec un autre dessin de l’artiste, Couple assis, où, malgré une différence notable de composition, j’ai retrouvé une acuité émotionnelle similaire.

La présentation de cet envoûtant tableau est précédée par celle d’un autre, à la thématique similaire, Tod und Mädchen (Mort et fille, voir plus haut). Ce dernier est accompagné de deux dessins de Schiele représentant des personnages dans les mêmes positions torturées. L’oeuvre est mise en parallèle avec un tableau de Klimt où l’on retrouve des personnages dont l’enlacement doux semble précurseur aux étreintes plus charnelles de Schiele.
Evidemment, ces œuvres font écho à l’histoire sentimentale de Schiele : son difficile choix entre deux femmes, Wally Neuzil, à la réputation sulfureuse, qu’il a maintes fois représentée sur ses œuvres, et Edith Harms, jeune femme plus rangée et venant d’une bonne famille qu’il choisit finalement pour épouse en 1915. Pourtant, la séparation avec Wally a été une rude épreuve pour Egon, ce qui se fait ressentir à travers les étreintes éreintées de ses compositions.
C’est ce genre d’histoire que l’on apprend au fil de la déambulation : la vie du peintre nous est révélée à travers l’analyse de ses oeuvres.

Bien plus qu’une exposition sur le travail d’Egon Schiele, l’orangerie du palais du Belvédère nous livre une riche et pointue analyse de quelques unes de œuvres de l’artiste. Ce décryptage en profondeur prenant en compte plusieurs facettes des œuvres, de la vie d’Egon ainsi que de l’évolution de la collection livre selon moi plus d’informations que n’importe quelle grande exposition monographique. Si les visiteurs s’attendant à trouver dans cette exposition une grande quantité de tableaux de Schiele peuvent sortir du lieu un peu déçus, les curieux attentifs et les amateurs d’histoires de l’art seront rassasiés.
La médiation sobre, juste et accessible éclaire un propos savant, pointu et renouvelé sur une collection, et, par extension, sur un artiste, sur une époque, sur le travail si peu connu du grand public des spécialistes travaillant pour l’art : historiens, chimistes, philosophes, écrivains, collectionneurs, photographes, conservateurs, commissaires…

Points forts de l’exposition :
- Une exposition sur une collection et non sur un artiste, avec une approche plurielle des oeuvres.
- Un nombre d’œuvres réduit, permettant de se concentrer sur chacune d’elles.
- Une scénographie très sobre, facilitant la compréhension : textes contrastés de grande taille, langage accessible
- Pas de détails superflus comme la descriptions minutieuses des processus d’analyse au rayons UV. La médiation va droit au but pour ne pas submerger le visiteur d’informations annexes.
- Mise à disposition sur le site de quasiment toutes les oeuvres de l’exposition de Egon Schiele (ainsi que des vues de salles !), à télécharger en basse ou haute résolution dans l’espace presse, ici : belvedere.at/press.
Points faibles de l’exposition… J’en vois quasiment pas, mais si je devais creuser je dirais :
- L’absence de dispositifs numériques… Mais en a-t-on besoin ici ? Peut-être faudrait-il davantage insister sur le téléchargement de l’application de réalité virtuelle, j’ai manqué cette étape et je pense avoir raté avec ça une partie du propos.
- Malheureusement, aucune assise. Les salles ne regorgent pas d’œuvres et on y circule fluidement, mais se reposer quelques minutes n’aurait pas été de trop.
Une réponse sur « Egon Schiele. The making of a collection. – Orangerie du musée du Belvédère de Vienne (Autriche) »
Très belle chronique. Merci pour ce partage !